Dépasser les difficultés

Mr Albert, avec quelques étudiantes du lycée St Jean (Soirée de la Réussite)

     J’étais venu vous rencontrer une première fois avec un groupe de la Maison pour tous d’Argenteuil au mois de juin dernier (Lycée horticole et paysager Sannois ). Vous nous aviez présenté les objectifs du lycée Saint-Jean : accueillir des jeunes en difficultés sociales et scolaires et leur permettre d’acquérir une formation : ici dans les domaines de la Nature-Travaux Paysagers (Production Horticole, Jardinier, Fleuriste) et du Service à la Personne.
Aujourd’hui, pouvez-vous dire un peu plus des objectifs de la Fondation des Apprentis d’Auteuil.

 

Grégoire Albert Ces objectifs tiennent en quatre points : accueillir, éduquer, former et insérer. La totalité de notre travail se regarde au travers de ces quatre prismes : c’est ça le métier de la Fondation Apprentis d’Auteuil.

Accueillir

Pour la partie scolaire qui me concerne (50 % de l’activité de la Fondation), c’est considérer le jeune - bien au-delà de son potentiel de réussite académique - comme un être humain qui, avant tout, crie son besoin d’être regardé et reconnu.

L’autre volet de l’activité de la Fondation, c’est celui de l’hébergement (accueil des familles, accueil des mineurs, de certains jeunes majeurs, accueil des femmes seules) : créer des lieux où les personnes accueillies trouvent la sécurité qui leur permet de se retrouver et d’avancer, des lieux où, enfin, elles peuvent dire leurs difficultés, échanger et, au travers de ce dialogue, dire leurs besoins. De notre côté, c’est, avec elles, chercher les moyens d’y répondre.

Eduquer

Parler d’éducation c’est aussi créer un triptyque : le jeune (qui est au centre, au cœur du dispositif), ses parents (ou ses éducateurs légaux – à défaut son tuteur, celui qui en est responsable, ou à défaut l’assistante sociale ou le responsable légal mandaté), et l’institution. On se met ensemble au travail pour apporter au jeune des repères et des fondamentaux qui lui permettent de se reconstruire : lui dire que c’est possible, quelles qu’aient été ses difficultés antérieures.

Il va être éduqué – ex ducere – c’est-à-dire emmené vers quelque chose qui est aujourd’hui au-delà de lui. Et même si, dans un premier temps, cela peut être source de peur ou de refus, on va l’emmener au-delà, vers davantage de liberté, c’est-à-dire de maîtrise de soi, de responsabilité pour être maître de son avenir. Une fois acquise la notion de bien, il peut alors mettre son énergie, sa volonté et son intelligence au service de son bien-être et de celui des gens qui lui sont proches.

Former

Une fois que le processus éducatif est en route,  un lieu (une classe, un atelier, une sortie, un stage) pourra se révéler être un  tremplin. C’est là que peut advenir la transmission, transmission d’un savoir : savoir-faire, savoir-être, transmission de connaissances, transmission de la part d’adultes sachant vers des jeunes qui pourront alors interagir et se construire leur propre  savoir.

Insérer

L’insertion, c’est la reconnaissance sociale qui se traduit par la reconnaissance financière et donc la capacité d’autonomie du jeune : c’est l’approche du monde du travail. Très progressivement, dès la 4ème au collège (4 à 5 semaines par an d’abord, jusqu’à 7-8 semaines dans les formations pro), nous offrons au jeune l’opportunité de vivre  cette insertion : stage au sein d’une entreprise ou contrat d’apprentissage.

A l’issue d’un cycle de formation, le jeune a rencontré 4, 5 ou 6 lieux de travail différents, avec des contraintes professionnelles réelles. Progressivement, il va avoir l’occasion de se conformer à des rythmes différents. C’est l’occasion pour lui de nouer de nouvelles relations avec le monde extérieur, le monde du travail.

ici dans une Maison de retraite

Le lieu du stage, c’est encore un lieu où il peut tester la limite d’un cadre, ses limites et celles de l’univers qui est autour de lui… au risque de se faire renvoyer de son stage. Ce sera bien moins grave que si, arrivé à l’âge adulte, ce même test lui fait perdre son travail et son espérance d’autonomie. Renvoyé d’un stage, on lui en retrouve un autre ; il peut dire et exprimer qu’il n’aime pas tel lieu, ou telle personne, qu’il veut travailler dans un autre domaine, changer d’orientation : il peut encore avoir ce discours instable, c’est de son âge ! Il est toujours accompagné par des adultes. Progressivement, il peut ainsi se stabiliser sur une vocation professionnelle. Il comprend alors qu’avec de la persévérance, il peut approcher une certaine reconnaissance, déjà une parcelle de bonheur.

A l'occasion de notre visite au lycée, juin 2014
Avec les métiers de la nature, en particulier au lycée Saint-Jean, vous permettez aux jeunes de retrouver des racines perdues, de reprendre leur place, dans et avec le monde, avec les autres autour d’eux.

80 % des jeunes se font remarquer positivement pendant leurs stages. On constate aussi l’efficience d’une telle démarche sur l’hyperactivité, le manque d’attention, le manque de respect du jeune vis-à-vis de lui-même et de ses collègues : une relation qui initialement pouvait mal se terminer bascule positivement. C’est l’éducation au travers de l’insertion professionnelle. La Fondation d’Auteuil accueille plus de 23.000 jeunes, 5000 adultes y sont engagés dans 225 établissements.

L’ambition, ces dix dernières années, a été de peser dans le débat national, dans le domaine socio-éducatif auquel la Fondation d’Auteuil aujourd’hui participe largement : c’est une stratégie qui nous fait tous progresser.

A Sannois, nous accueillons 175 jeunes, apprentis et scolaires, à qui nous apportons une formation professionnelle. D’un « lycée horticole et paysager », nous sommes passés à un  « lycée Nature & Services.» Nature et services sont des leviers éducatifs dans la prise en charge de jeunes déscolarisés, une déscolarisation latente ou explicite pour certains qui, après 6 ou 12 mois d’errance, peuvent trouver ici un nouveau départ.

La nature, c’est par exemple l’équitation, le VTT, ou l’accrobranche qui peut faire médiation et renouer avec un fonctionnement d’apprentissage.

s'éléver dans le parc avec l'accrobranche

Le service, pour beaucoup de jeunes dévalorisés au plan scolaire et dans leur vie personnelle, c’est l’occasion de se faire remarquer en bien. Beaucoup d’entre eux, au travers d’un service – même minimum – redeviennent des personnes sur lesquelles on peut compter.

participer à des actions solidaires

Dès son admission au lycée St Jean, qui dépend du ministère de l’Agriculture et non pas de l’Education nationale, un  jeune peut progresser suivant ces deux vecteurs et opter pour une orientation professionnelle liée à ces deux filières :

  • production horticole, paysage, fleuriste
  • service à la personne

Ces métiers sont enseignés à des niveaux différents : CAP, brevet, bac pro… une large palette de formations, très proches les unes des autres en termes de niveau, et avec lesquelles on peut jongler pour apporter la meilleure réponse possible à l’attente réelle et aux capacités d’un jeune

C’est la chance que chacun trouve ici : on lui fait confiance au départ. Et sa réussite est mise en valeur. C’est l‘objet de notre Soirée annuelle de la réussite : célébration des efforts de chacun, de l’équipe éducative comme celle du jeune, à laquelle nous invitons aussi les institutions.

Soirée de la réussite : plus de 100 jeunes présents pour recevoir leurs diplômes !

 

Cette Soirée de la réussite organisée chaque année, au mois de novembre, est un événement majeur : inviter tous ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, et très largement, ont connu une réussite dans le courant de l’année écoulée. On parle des diplômes obtenus, bien-sûr, des brevets acquis en fin de 3ème, des brevets pro, mais également du succès d’un voyage humanitaire, d’une épreuve réussie de Secourisme…Tout le monde est célébré : les jeunes, les professeurs, une formation, une qualification ! Tel éducateur ou tel directeur reçoit aussi ce jour-là son diplôme de qualification; tel jeune dans le cadre d’un concours organisé par une entreprise, un autre qu’on a pu aider à passer son permis de conduire est mis à l’honneur. Réussite d’un projet de mécénat, participation au Téléthon, etc... On passe une heure et demie formidable !

Cela nous permet de rebondir sur le succès du jeune. Il est mis un peu plus en confiance et, la méfiance disparaissant progressivement, les champs du possible sont ouverts, des bouts du monde sont accessibles même pour celui qui a moyennement réussi : s’il n’a pas obtenu son Brevet de fin de Troisième, il a pourtant obtenu son Certificat de formation générale. C’est l’essentiel du message : la richesse ne réside pas tant dans le diplôme obtenu que dans le parcours suivi : c’est notre joie et aussi sa force !

Reconnu par l’équipe éducative, il l’est aussi par les « institutionnels » qu’il a rencontrés sur son chemin

Nous avons en effet énormément de partenaires. Pour élargir nos capacités et rendre ce travail intéressant, nous mutualisons nos moyens avec beaucoup d’associations : nos élèves peuvent ainsi être accueillis ici dans une maison de retraite, là dans le jardin d’une copropriété, au siège des Apprentis, au diocèse… toutes ces institutions partenaires qui participent des progrès de chaque jeune.

Nous travaillons également avec les mairies où nos jeunes sont accueillis en stage ou en apprentissage : 21 mairies sont partenaires du Lycée Horticole Saint Jean et à peu près une centaine d’entreprises. Nous ne sommes pas seuls à porter la réussite de chaque jeune.

Quand une scolarité connait des soubresauts, voire quand le comportement du jeune la met à mal,  toutes les institutions partenaires se mettent autour de la table avec nous pour en débattre : l’Aide Sociale à l’Enfance, les foyers, notre Internat, et les éducateurs : commission éducative, conseil d’établissement (avant le Conseil de Discipline), pour réfléchir autour du jeune, par exemple après un manquement au Règlement Intérieur, et nous mobiliser pour trouver une solution à ses difficultés.

Quelques exemples de réussite

Des anciens, aujourd’hui chefs d’entreprise, accueillent des apprentis ou des stagiaires.

Un de nos anciens travaille aujourd’hui aux Services généraux d’une très chic école parisienne ; il nous invite chaque année à venir vendre des bouquets de fleurs, des couronnes de l’Avent, des sapins de Noël lors de leur grande fête patronale.

Le lien se poursuit. Cette école a déjà embauché plusieurs anciens lycéens de Saint Jean… des réseaux sont constitués autour de nos anciens.

mais aussi des échecs

Un jeune entré blessé à Saint Jean, en ressortira peut-être toujours blessé. II enchaînera quelquefois encore sur d’autres difficultés qui vont l’endurcir. Les blessures sont parfois insurmontables, comme ce jeune qui n’est pas arrivé à trouver une autre insertion professionnelle qu’un emploi dans la restauration rapide, un restaurant où il fait des sandwiches depuis 13 ans : il rêve de faire autre chose, mais tout ce qu’il a essayé n’aboutit pas, et ce, malgré sa formation et un CAP de paysagiste.

Et pourtant, lui a réussi sa recherche d’autonomie : il a un salaire, une situation. D’autres ne trouvent jamais cet équilibre.

et des handicaps

Certains sont par ailleurs porteurs de handicap (une dizaine d’apprentis sur les 175 font l’objet d’une notification de la Maison départementale des Personnes Handicapées). Certains d’entre eux ne pourront jamais travailler en milieu dit « normal ». Nous  devons les accompagner pour obtenir un emploi adapté dans des structures spécifiques (LA MONTAGNE VIVRA à Cormeilles par exemple) :  deux  anciens élèves du lycée y travaillent aujourd’hui.

« La confiance peut assurer l’avenir ! » C’est une des convictions des Apprentis d’Auteuil ?

Confiance

Plus qu’une conviction, c’est la signature des Apprentis d’Auteuil depuis un an. Celle-ci est renouvelée tous les cinq ans. C’est le fruit d’un travail d’audit mené pendant plusieurs mois par un groupe de personnes qui rencontrent les différents établissements et maisons des Apprentis d’Auteuil. C’est une signature commune et finalement l’essentiel de notre travail : créer des lieux de confiance qui peuvent construire l’avenir d’un jeune sans le compromettre.

Avec la conviction que l’on peut transmettre quelque chose et contribuer à l’épanouissement d’un adolescent, surtout lorsque celui-ci est en difficulté, tout est possible !

Mais se faire confiance, c’est aussi une prise de risque, tant pour le jeune que pour les adultes qui l’encadrent ! En mettant de la confiance dans une relation, on  peut avancer : créer quoi qu’il en coûte des espaces de confiance. Peut-être celui-ci a t’il été tenté par le vol, la drogue… : je peux néanmoins lui donner les clés du dortoir ou de l’internat, lui confier le soin d’ouvrir son lieu de vie. Il est excessivement rare, voire impossible, que le jeune ne remplisse pas la mission qui lui a été confiée avec confiance.

Le fait de confier à un jeune une mission, quel que soit son parcours, donne toujours de très bons résultats : on lui fait confiance à un instant T… C’est parfois un jeune qui, quelques heures plus tôt, ou quelques heures plus tard, aura un comportement déviant et connaîtra une situation difficile qui nécessitera l’intervention des services de police : manque de respect, violence… Cette même personne va honorer cette confiance : ça marche pratiquement tout le temps !!

et respect

Recréer un espace de plus en plus large autour des jeunes, en les associant si possible eux-mêmes à cette création, dans leur classe par exemple, en les invitant à faire attention les uns aux autres, c’est porter des valeurs formatrices. Promouvoir le respect, c’est dire que chaque personne est une histoire unique. Quel qu’il soit, il ou elle est sacrée et je ne peux pas violer son histoire ni y entrer sans son autorisation. C’est l’histoire du Petit Prince.

 

Je vais m’assoir à ses côtés pour être apprivoisé et créer un lien de confiance : c’est seulement à partir de là que je peux essayer de réparer ses blessures.

Tout homme est une histoire sacrée… et fragile

La Fondation Apprentis d'Auteuil est une fondation d’Eglise. C’est pour nous essentiel. Si on gratte un peu, c’est ce qui apparaît à la source de notre contact au quotidien avec chacun des jeunes accueilli ici : c’est ce qu’il est, ce prochain avec qui je vais cheminer autant qu’il chemine avec moi. Il me construit autant que je le forme. Lorsqu’on enlève les titres : enseignant, directeur, responsable, on se retrouve à égalité, avec des difficultés qui peuvent se ressembler, avec des fragilités de part et d’autre.

Quand on commence à réfléchir sur ce mode de relation avec le jeune, cela devient passionnant et très productif. C’est pour moi le cœur du dispositif.

Nous sommes tous fragiles, vous, moi, nous, directeur, professeur, élève. C’est rarement un sujet de conversation mais c’est une réalité. Nous avons tous fait face à nos impossibilités. Une fois qu’on le reconnaît et qu’on peut en parler, que notre interlocuteur aussi accepte de nous entendre sur une part si importante de nous-même : tout ce qu’on aurait souhaité faire et qu’on ne peut pas faire, tout ce qu’on aurait voulu être et qu’on ne peut pas être,… un potentiel immense de réussite s’ouvre alors.

« Si je peux le partager avec toi aujourd’hui, c’est aussi parce que je peux te faire confiance et faire appel à toi » : je suis fragile, j’ai donc un besoin… C’est déposer mon fardeau mais, bien au-delà, le porter autrement, avec plus de force. Si je le porte à plusieurs, alors je deviens très fort !

C’est le discours que j’ai tenu, il y a quelques jours, à l’occasion d’un goûter donné avant le départ  en vacances. Ce discours étonne les élèves et les fait rire, les professeurs sont parfois inquiets : parler de la fragilité des professeurs ? Mais oui, la mienne, celle de l’institution qui fait parfois aussi des erreurs… c’est admettre ces erreurs que voient aussi les élèves.

Considérer la faiblesse comme une force : c’est un véritable projet pédagogique

Un vrai projet éducatif qui permet au pédagogique d’être mis en œuvre. Et ça met tout le monde à l’aise. C’est aussi très fort parce que peu de gens peuvent contredire ce discours. Celui qui peut dire : « la fragilité ne me concerne pas ! », c’est probablement quelqu’un qui n’a pas fait face à la sienne. Nous sommes tous, à la Fondation, d’une certaine manière « sélectionnés » : personnels et jeunes, parce que nous admettons de travailler ensemble avec nos fragilités. Le jeune accepte de rentrer dans ce « jeu », mais surtout il est interpelé : il a été exclu 4 ou 5 fois d’un lycée ! Il sait bien qu’il a une fragilité ! Il arrive avec des bulletins à 6 ou 7 de moyenne générale, même chose ! Eh bien, pour une fois, il peut en parler, pour une fois il n’est pas jugé sur ça ! C’est ce que l’on peut lui offrir.

 

A l’issue de cet entretien, j’ai proposé à Monsieur Albert d’éventuels partenariats à venir avec le lycée agricole de Saint-Flour. A voir dans les mois qui viennent !

 

 

 

 

 

 

Grégoire ALBERT, Directeur du Lycée Horticole & Paysager St Jean, Apprentis d'Auteuil
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